Par Simon du Chastel : Le
parc Tournay-Solvay est un lieu chargé d'histoire depuis son
occupation, il y a 7.000 ans, par la même peuplade d'hommes
préhistoriques que celle de Spiennes, près de Mons.
Venus de Bonn, en
Allemagne, ces hommes qui furent les premiers mineurs, extrayaient à
Spiennes les meilleures pierres taillées du nord de l'Europe. On trouve
facilement ces pierres à Boitsfort, près de leur ancienne forteresse, à
l'emplacement des étangs "des enfants noyés". Ces hommes de la
préhistoire occupaient également la colline toute proche du parc
Tournay-Solvay, à cause de la proximité des deux étangs de la propriété.
En
d'autres temps, ce site fut le point de départ de nombreuses chasses
dans la forêt de Soignes. Celles-ci étaient pratiquées par de grands
seigneurs, princes et empereurs, tels Maximilien d'Autriche et
Charles-Quint.
Mais commençons par l'histoire de ce parc qui,
lors d'un sondage commandé par le Ministre Jean-Louis Thys dans les
années quatre-vingt, a été considéré comme le plus beau parc de
Bruxelles après le parc Royal. Situé au sud-est de Bruxelles, le Parc
Régional Tournay-Solvay étend ses 7 hectares entre la Chaussée de La
Hulpe, la drève des Deux Montagnes et la ligne de chemin de fer
Namur-Bruxelles. Son entrée est à côté de la gare de Boitsfort.
Une
partie du parc appartenait à un important propriétaire, Théodore
Verhaegen, fondateur de l'Université Libre de Bruxelles, franc-maçon et
anticlérical s'il en fut, que les étudiants fêtent à la "Saint
Verhaegen".
Par la suite, une partie de ces terrains fut vendue à
Alfred Solvay, qui fit construire en deux étapes l'actuel château, plus
précisément ce qu'il en reste.
Alfred Solvay et son célèbre frère
Ernest produisaient dans leurs usines de la soude d'ammoniaque selon un
procédé révolutionnaire. Leurs usines, implantées des États-Unis à la
Russie, montrent la prospérité de leur entreprise. Ces chefs
d'entreprise humanistes et visionnaires n'hésiteront pas à consacrer une
partie de leur fortune au bien-être de leurs employés, mais aussi à des
réalisations architecturales d'une grande renommée, comme l'hôtel
Solvay, réalisé par le célèbre architecte Art Nouveau Horta.
En
1879, Alfred abandonne la direction de l'usine de Couillet pour se
consacrer exclusivement à l'administration générale de l'entreprise. Il
s'installe dès lors à Bruxelles dans sa propriété de Boitsfort. C'est
aux architectes Constant Bosmans et Henri Vandeveld qu'il commande les
plans de son manoir. Ceux-ci collaborent à plusieurs reprises avec la
famille Solvay et plus particulièrement pour Ernest.
Ils réaliseront
les nouveaux bureaux du siège social de la Société à Ixelles (1883) et
étudieront les transformations et l'aménagement intérieur de l'hôtel
particulier d'Ernest Solvay rue des Champs Elysées à Ixelles (1884).
C'est encore eux qui se chargeront de la construction, dans le parc
Léopold, de la très belle bibliothèque de l'Institut de Sociologie
(1901), mieux connue aujourd'hui sous le nom de bibliothèque Solvay, et
de l'Ecole de Commerce (1903), abritant actuellement le lycée Emile
Jacqmain.
Le château. Bosmans
et Vandevelde érigent en 1878 la première partie du château dans un
style Renaissance flamande quelque peu fantaisiste rappelant le style de
la maison Van Zeeland située un peu plus loin, près du Boulevard du
Souverain. La revue d'architecture l'Emulation qui commente les projets et réalisations en vogue à l'époque, y consacre un article.
Définissant
le lieu comme une maison de campagne, il vante la touche personnelle de
son style néo-Renaissance flamande, l'unité et la pondération des
matières dans la composition de la façade, et la qualité de son confort.
Ce
bâtiment puise son inspiration dans le vocabulaire éclectique et
fantaisiste de Vredeman de Vries, célèbre théoricien et ornemantiste du
XVIe siècle. Alternée de briques rouges et de pierre blanche, sa façade
est formée de deux avancées reliées par une loggia à l'étage et une
galerie surmontée de deux arcs en anse de panier au rez-de-chaussée.
Volutes décoratives, colonnes, frises de grotesques et pignons
complètent cette atmosphère.
La seconde partie du château, soit une
double tour réalisée par l'architecte Jules Brunfaut, fut terminé en
1905. Cet architecte, bien connu pour la construction de l'hôtel Hannon,
rue de la Jonction à Bruxelles, accentue ainsi le caractère pittoresque
du château, brise la symétrie de la composition et augmente la
verticalité de sa silhouette. Il intègre également la loggia au bâtiment
en la refermant par des fenêtres, tandis que la double arcade de la
galerie se voit simplifiée en une seule. Si cet architecte, élève de
Henri Beyaert, s'adonne à l'Art Nouveau avec l'hôtel Hannon, il reste
pourtant un classique, comme le confirme la maison qu'il réalisa aussi
pour Alfred Solvay en 1888, avenue Louise.
Les plans du château, repris dans l'Emulation,
permettent seuls de visualiser l'intérieur du bâtiment, qui se présente
selon une répartition assez classique des pièces : "Le perron donne
accès à un hall, suivi d'un vestibule et du grands escaliers d'honneur
qui occupent le centre de l'édifice. De part et d'autre de cette zone de
circulation, les deux ailes accueillent la salle à manger, le salon, le
fumoir et le véranda. A l'étage, le bureau d'Alfred Solvay s'ouvre sur
la loggia qui occupe le centre de la façade. Les chambres sont disposées
autour d'un vaste dégagement. Au sous-sol, se répartissent les
cuisines, la buanderie et les caves aménagées pour bien conserver le
vin, la bière, les fruits...
L'emplacement du château est
exceptionnel : la vue plonge vers une vallée qui abrite deux étangs,
dont l'eau provient de l'étang des "Enfants noyés" et de deux sources
dans le parc.
Ces étangs nourrissent tous les étangs de la vallée de
la Woluwe, où s'érigeaient d'innombrables abbayes, châteaux, moulins ou
fermes, aujourd'hui remplacés par des bureaux, les assurances - tels:
Royale Belge - AXA".
Du château la vue se noie dans la forêt de Soignes; aucune maison de Boitsfort n'est visible.
Alfred
Solvay pouvait ainsi fuir, en ces lieux très privilégiés dans
Bruxelles, la fumée de ses usines, et agrémenter son château-palais de
meubles superbes, ainsi que d'une bibliothèque importante. Celle-ci, au
décès de Thérèse Tournay-Solvay, fut donnée à la Bibliothèque Nationale,
ce qui sauva ce patrimoine de l'incendie du château en 1982. Incendie
causé par des adolescents squatters qui allumaient des feux de bois, non
dans la cheminées, mais sur le parquets ! Resté en ruine, le chateau
est " colonisé " par la végétation et la faune.
Entre-temps, les
grands aménagements réalisés à Bruxelles sous le règne de Léopold II ont
provoqué de nombreux bouleversements. Une nouvelle artère a été créée,
l'actuel boulevard d Souverain. A cette occasion, Marie Masson, l'épouse
d'Alfred Solvay (mort prématurément en 1894), rachète, tant pour
agrandir sa propriété que pour préserver le site, le terrain situé entre
la rue de l'étang et la "Nouvelle Avenue".
En 1920, Thérèse Tournay,
une des filles d'Alfred Solvay, qui hérite de la propriété, fait
construire par l'architecte G. Collin une conciergerie et des
dépendances. L'entrée est réaménagée et les deux parties de la propriété
sont reliées entre elles par des ponts qui enjambent la rue des Silex.
Après
la mort de Thérèse Tournay, le site est menacé par un projet de
construction de logements et de bureaux, lequel est rejeté par la
Commune de Watermael-Boitsfort.
Racheté par la Région Bruxelloise, le parc a bénéficié de travaux de remise en état pour être ouvert au public dès 1981.
Le parc.
Le parc comporte deux parties, reliées par de jolis ponts en
ferronneries soignées du XIXe siècle qui surmontent une rue piétonnière à
anciens pavés arrondis par le temps. Cette petite ruelle se dénomme "la
rue des Silex", sans doute parce que Boitsfort est bâti sur un sable
bourré de silex, et peut-être aussi en souvenir des armes et outils de
nos lointains ancêtres.
La première partie du parc, qui longe la
chaussée de La Hulpe, est peuplé de hêtres et d'arbres rares tels qu'un
Séquoia, des noisetiers de Bysance, et bien d'autres espèces. Elle a été
dessinée en 1911 par Jules Buyssens : un des principaux architectes de
jardin de la première moitié du siècle, inspecteur des plantes de la
ville de Bruxelles et l'un des auteurs du jardin Van Buren. Il s'inspire
ici de l'esprit des jardins anglais en créant des chemins sinueux, déjà
pourvus dans le passé d'un réseau d'évacuation d'eau et tout récemment
revêtus de petites briques aux tons de feuilles d'automne.
Au centre
de cette partie anglaise du parc se trouve la fameuse roseraie des
Solvay, construite en ronds et plateaux de circulation qui s'enfoncent
vers le point central : une colonne finement sculptée portant un cadran
solaire. Pour y accéder, on marche sur quatre pierres tombales de
familles nobles. C'est le lieu préféré des amoureux, des retraités...
Cette
roseraie fut restaurée et même reconstruite par la Région Bruxelloise
et un membre du cabinet de l'architecte de jardin René Pechère :
J.Boulanger-François. Tout y est soigné : les roses aux variétés
diverses, les bancs en bois et les bassins d'eau, pourvus d'escaliers
(pour les grenouilles !)